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Les condoléances officielles ont été timides. Faute de grand dirigeant, c’est le fluet porte-parole du MinAff qui s’est acquitté de la formalité lors d’une conférence de presse ce 31 août : « nous exprimons nos condoléances pour sa famille« . Le personnage est controversé en Chine, c’est peu de le dire. D’un côté, il a contribué au dégel des relations sino-russes. Mais de l’autre, il exprime la reddition d’un empire autoritaire face à la puissance américaine, et un changement brutal de régime vers la démocratie.
Dans ces situations tendues, où les réjouissances officielles sont impossibles, c’est la tentaculaire Toile chinoise qui se charge du service après-vente. On voit émerger de nombreux « experts » et professeurs d’université chinois qui étrillent à volonté l’ancien leader coupable d’avoir laissé l’URSS s’effondrer.
Un narratif aligné sur un mot: « looser ».
Jin Canrong 金灿荣, professeur à l’Université du peuple de Chine professeur de RI et spécialiste des USA lance l’assaut dans le pure player Guancha 观察: « Gorbatechev était destiné à être à looser« . Le professeur ne mâche pas ses mots: « il n’avait pas force d’aller à contre-courant de la tendance de l’histoire, il a foiré, menant l’Union à la tragédie. C’est un perdant« . Pour le professeur, les louanges occidentales sont éloquentes: ce qu’il a fait, c’était dans leur intérêt. « Après sa retraite, la vie allait bien, en grande partie grâce à l’aide occidentale ».
Pour Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du média d’extrême gauche nationaliste Global Times, a publié sur Weibo: « Gorbatchev a gagné les louanges de l’Occident en détruisant sa patrie, l’Union soviétique« .
Son de cloche plus nuancé pour des médias destiné aux publics plus éduqués, comme Jianmian qui, s’ils peuvent louer les efforts méritoire de Gorbatchev pour rétablir la situation, il n’a pu le faire que lorsque le pays restait sous le contrôle du Parti communiste.

Zhang Weiwei 张维为, professeur émérite de l’Université de Fudan, doyen de l’Institut de recherche de Chine, enfonce un autre clou dans ce cercueil. Selon lui, la chute de l’URSS (le « grand frère ») a semé le trouble dans les espoirs du peuple chinois vis-à-vis du succès du socialisme. C’est à ce moment que Deng Xiaoping a affirmé la voie chinoise du développement du communisme, le socialisme aux caractéristiques chinoises. « Il y a trente ans, le monde méprisait généralement le système socialiste, mais aujourd’hui c’est différent. Le monde est optimiste quant aux avantages du système chinois. Bien sûr, plus la Chine réussit, plus l’Occident l’attaque, mais ce qui se reflète derrière cela, c’est son impuissance et sa confusion ».
La chine doit tirer toute l’expérience de cet échec.
Pour Zhang Weiwei, « le système soviétique avait de nombreux problèmes, bureaucratie, corruption, rigidité économique, etc., mais la grande majorité des Soviétiques ne voulait pas voir leur pays se désintégrer, et divers sondages de l’époque prouvaient qu’ils voulaient que le pays continue d’exister ». Le professeur trace un parallèle implicite entre la situation de l’URSS et les problèmes chinois que Xi Jinping prétend combattre depuis son accession au pouvoir.
Selon le professeur, la Chine doit éviter deux écueils qui ont contribué à détruire l’URSS : le « piège de l’intégrisme démocratique » 民主原教旨主义陷阱 et le « piège de l’intégrisme de marché » 市场原教旨主义陷阱. Pour lui, « les pays occidentaux sont pris dans ces deux pièges, donc l’Occident décline également. La Chine a évité les deux pièges, donc la Chine a réussi« .
En conclusion, le narratif chinois se charpente autour de plusieurs apprentissages tirés de l’expérience Gorbatchev
- Un grand pays a besoin d’un dirigeant fort avec les mains libres.
- Un grand pays non-occidental ne doit pas abandonner l’arme nucléaire ni la possibilité de son usage.
- La Chine doit éviter l’écueil démocratique (nommé « intégrisme démocratique »).
A suivre.
Noé Hirsch
