Documentaire & Journalisme
Noé Hirsch
Nous en parlions dans notre dernier Passe-Muraille. Récemment, un cas de « prise de cliché non consenti« , soit « Toupai » [偷拍] a défrayé la chronique sur l’internet chinois. Concrètement, des hommes utilisent leur smartphone pour capturer des images de femmes à leur insu, pour leur plaisir personnel, ou pour les revendre.
Un rapport d’enquête sur le harcèlement sexuel de l’Université de Nanjing en 2018 mené auprès d’étudiants, d’anciens élèves et de membres du corps professoral de l’Université de Nanjing révèle que la majorité des cas de harcèlements relèvent de cette pratique de Toupai [2018 年南京大学性骚扰状况调查报告]. Les victimes de ces violences sexuelles sont majoritairement des femmes.
Le mot-clef « Toupai » sur Google renvoie avant tout sur des sites pornographiques internationaux, mais l’internet confidentiel chinois regorge de photos sexuelles volées par des paparazzis du quotidien. Jasmine, habitante de Pékin interrogée par EIR, témoigne:
« Le phénomène Toupai est très répandu. Les photographes pullulent à Sanlitun [quartier branché et jeune de Pékin], ils prennent des photos en douce pour les revendre à des sites porno » (…) « Mais c’est surtout présent dans les villes plus petites. Bien sûr qu’à Pékin, il y en a, mais c’est surtout dans les villes de second et troisième rang« .

Ce phénomène donne des actualités presque comiques, si elles n’était pas si repoussantes, comme ces étudiants de l’Université du Hebei qui se sont déguisés en femmes pour filmer les vestiaires féminins. Ou encore, moins amusant, cette étudiante endormie chez son cadet d’études, qui découvre des photos à demi nue d’elle en vente sur le campus les jours suivant. Ou encore des vidéos qui circulent de fauteurs de Toupai dans le métro. Les histoires de gens prenant des photos sous les jupes des femmes dans la rues se ressemblent et se succèdent sur internet.
[vc_empty_space height= »16px »][thb_title style= »style6″ title= »La police chinoise préfère éviter le sujet »][vc_column_text animation= »animation top-to-bottom »]Dans le cas que nous avions traité dans le dernier PM, les autorités n’ont pas cru la victime (sans doute à raison en l’occurrence) et les autorités ont même publié un avis invitant les victimes potentielles à « ne pas laver leur linge sale en public » [不泄私愤]. Liu Xin (刘心), une victime de Mongolie Intérieure, a été filmée dans sa douche à son insu. Elle raconte [source: 人物周刊] qu’après avoir découvert des caméras dans sa salle de bain, elle a prévenu la police et ses amis, qui lui ont tous conseillé de ne pas faire de vagues. Liu Xin a fini par envoyer elle-même son miroir à la police, qui a découvert 4 caméras et 5 cartes mémoires cachées dedans.
En 2020, la Hong Kong Women’s Sexual Violence Concern Association [香港关注妇女性暴力协会] pose le constat: les victimes de Toupai prennent rarement la parole, et quand elles le font, la police enterre généralement leur dossier. Sans un soutien actif de la police, les victimes s’enferment dans la peur. Pour Liu Xin, « celui qui fait ça est psychotique. S’il découvre que je sais ce qu’il fait, il pourrait me menacer« .
Cependant, certains policiers se spécialisent dans la chasse des fauteurs de Toupai, en Chine. L’un d’entre eux livre son témoignage dans China News Weekly: « les endroits où les photographies ont été prises sont généralement des hôtels, des auberges et des familles d’accueil. Il y a aussi des cabines d’essayage ou des toilettes pour femmes à la maison et des centres commerciaux, et certains transports en commun, tels que que les métros ou les bus« .
Une répression policière se met doucement en place. Depuis novembre 2021, le Bureau de la cybersécurité du ministère de la Sécurité publique [公安部共侦办网络] a lancé une opération pour réprimer sévèrement le phénomène Toupai et les chaînes voyeuristes, suscitant 160 affaires pénales. Plus de 860 personnes ont été impliquées et 30 000 vidéos ont été saisies. Une maigre saisie, mais un début de solution, pour ce phénomène d’échelle nationale.