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Do less work, make fewer mistakes – ou pourquoi les fonctionnaires locaux rechignent au travail sous Xi Jinping

Do less work, make fewer mistakes – ou pourquoi les fonctionnaires locaux rechignent au travail sous Xi Jinping

Par Camille Brugier

Panda, Alcool de Riz et PCC

Panda, Alcool de Riz et PCC est une colonne de Camille Brugier, visant à introduire des articles scientifiques à une audience plus large. Ses publications sont à retrouver sur son fil Twitter.

Même si la Chine est encore le 45ème pays le plus corrompu au monde selon Transparency International, elle a tout de même progressé de 10 places en 10 ans. 2013, c’était le début du mandat de Xi Jinping, qui a mené et mène des campagnes anti-corruption de grande ampleur. Ces campagnes sont souvent considérées comme un moyen infaillible pour Xi de mettre ses détracteurs hors d’état de nuire. Au-delà des « tigres » (officiels de l’Etat central et des provinces) qu’elle cherche à viser, quel impact ces campagnes ont-elles sur les « mouches », les fonctionnaires des administrations locales ?

Pour beaucoup, l’efficacité d’un gouvernement rime avec des politiques anti-corruption fortes. Cela vaut aussi pour les démocraties. Il semble de bon sens que si l’on n’est pas occupé à détourner de l’argent, à récupérer des « commissions » ou rendre une faveur, on peut se concentrer sur son travail et sa mission au nom de l’intérêt général. Elémentaire ? Pas selon le Dr H. Wang !

L’universitaire montre que les campagnes anti-corruption de Xi menées entre 2012 et 2017 ont rendu les fonctionnaires des provinces chinoises plus frileux à mener leur besogne. Comme souvent, Xi a fait les choses en grand : ses campagnes anti-corruption sont longues (5 ans), massives (2900 visites dans les 2698 cantons chinois) et intenses (39 jours en moyenne par inspection). Pour Wang, ces campagnes ont des effets collatéraux : elles tuent dans l’œuf les initiatives prises par les fonctionnaires, qui auraient trop peur de dévier des règles très strictes mises en place par le régime. C’est le « chilling effect ».

Quiconque a déjà travaillé dans une administration sait qu’il y a aussi beaucoup de choses qui font « avancer les dossiers » et qu’on ne trouve ni dans les manuels, ni dans le code de la fonction publique – passer dans le bureau voisin voir que le papier a été signé, prendre un café pour savoir ce qui se décide au 5e étage, utiliser la procédure A plutôt que B pour vous épargner de la paperasse…

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Les fonctionnaires intègres, qui s’arrangent un peu des règles pour mener leurs missions (mais sans gain privé, donc sans corruption) sont donc « refroidis ». Wang observe qu’après les inspections de Pékin ou des provinces, l’activité des fonctionnaires chute dès le mois suivant, et reste en-dessous de la normale encore l’année suivante. Le « chilling effect » s’explique de deux façons : 1/ les règles formelles compliquent la vie au travail (un peu comme les travaux d’Astérix) et ralentissent les fonctionnaires 2/les bureaucrates sont incités à moins bosser.

En somme, mieux vaut appartenir au ventre mou des fonctionnaires qui travaillent… mais qui n’en font pas plus. Ce phénomène, que la presse chinoise nomme 不敢做事, est dépeint dans les séries TV chinoises, et est connu dans les couloirs des administrations provinciales par cette petite phrase : Do less work, make fewer mistakes; do no work, make no mistakes. »(少做少错、不做不错).

Contrairement à l’idée reçue, la Chine est un pays autoritaire mais aussi dé-cen-tra-li-sé. Cet article illustre en toile de fond les rapports complexes entre Pékin et les 31 provinces chinoises, qui se tiennent par la barbichette pour à la fois gagner en contrôle/autonomie, tout en faisant en sorte que les « mouches » travaillent pour faire avancer la Chine et faire bonne impression auprès de leurs administrés. Comme quoi, la bureaucratie est beaucoup plus politique (et fascinante) qu’on ne le pense généralement.

Référence:
Wang, Erik H. (2022), “Frightened Mandarins: The Adverse Effects of Fighting Corruption on Local Bureaucracy”, Comparative Political Studies, Vol. 55(11), pp. 1807-1843.

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