Depuis l’accession au pouvoir de XJP, le contrôle des enseignants devient un enjeu majeur. Cette semaine, le comité central lui-même est monté au créneau pour fustiger les mauvais communistes qui se cachent parmi eux.
« Nous devons adhérer à une politique de tolérance 0 pour les enseignants qui violent l’éthique de la profession », assure l’avis du comité central du PCC, publié le 26 août 2024.
Depuis une demi-décennie, les professeurs des écoles, collèges et lycées sont enjoints de bien enseigner l’histoire du Parti, de la Chine nouvelle (…) et du développement socialiste [du pays].
Cela se traduit, notamment, par l’introduction de clause « idéologiques » dans les contrats de travail des professeurs recrutés, des mises en gardes fréquentes via avis et circulaires, et des licenciements ponctuels ici et là dans le pays.
L’avis de cette semaine annonce qu’une politique de tolérance 0 sera désormais de mise pour châtier les récalcitrants. « Les violations de l’éthique seront sévèrement punies », lit-on, signe que les choses ne se sont pas forcément déroulées comme souhaitées.
Un constat d’échec
La formation des professeurs partait pourtant sur des chapeaux de roue. En 2018 paraissait un autre avis du Conseil des Affaires d’Etat qui visait à réformer l’enseignement en Chine, pour « entrer dans la nouvelle ère ».
Ce document est très positif dans sa forme.
On prévoit notamment que « D’ici 2035, la qualité globale, le niveau professionnel et la capacité d’innovation des enseignants seront considérablement améliorés ».
Ou encore que « Les enseignants s’adapteront de manière proactive aux nouveaux changements technologiques tels que l’informatisation et l’intelligence artificielle ». De grandes attentes reposent manifestement sur ce corps de métier.

La formation idéologique des enseignants devait, elle, relever « des branches du Parti destinés aux professeurs » [教师党支部和党员队伍]. Les enseignants deviennent « l’avant-garde des membres du Parti ».
Une circulaire du gouvernement assure que les enseignants des écoles primaires sont tenus de « planter les graines de l’amour du parti, de la patrie et du socialisme dans le cœur des jeunes » [AFP].
Le 1er septembre 2021, la Chine a commencé à utiliser de nouveaux manuels scolaires intégrant les « pensées du président Xi Jinping », applicables aux enfants à partir de 7 ans [AFP].
Mais dès 2019, l’accent se plaçait sur « les cours de théorie idéologique et politique dans les écoles du primaire et du secondaire » [Avis de septembre 2019]. Et déjà, on s’inquiète de la qualité du corps professoral.
Les jeunes esprits, selon ce document, doivent être gérés à ce moment crucial, alors qu’ils sont les plus malléables, mais le manque de qualification des enseignants inquiète. « Tous les enseignants idéologiques et politiques doivent être dotés du niveau requis », martèle le texte.
Et puis, rapidement, des craquelures se font béantes. Localement, des autorités adoptent des mesures pour rectifier (selon le vocabulaire en vigueur) le comportement déviant des professeurs.
A Jixi, un avis de septembre 2022 dénonce « les paroles et des actes [de professeurs] qui sapent l’autorité du Comité central du Parti et violent la ligne, les principes et la politique du Parti. » « Ils utilisent WeChat pour publier des remarques inappropriées. Ils participent à des activités religieuses illégales (…) et participent à des activités féodales superstitieuses sur les campus ».
Depuis 2022, la ville de Jixi met en place des inspections surprise dans les écoles pour prendre ces déviants la main dans le sac, et met à disposition une hotline pour les dénoncer, le cas échéant.
Ici et là, des professeurs sont mis à pied à la suite d’un propos ou d’un débat, dénoncé par des collègues ou des élèves.
C’est le cas de Tang Yun 唐云, professeur agrégé à l’Université normale de Chongqing, « dénoncé par des étudiants le mois dernier pour avoir exprimé ses opinions personnelles aux étudiants en classe » [RFA, mars 2019].
Ou encore Lu Jia [吕嘉], professeur agrégé à l’École de marxisme de l’Université Tsinghua, a récemment été dénoncé par les étudiants comme étant « anti-Parti et inconstitutionnel » [RFA, avril 2019].
Le corps professoral semble réticent à appliquer le programme. A haut niveau, parfois, par idéologie. Dans les échelons inférieurs, sans doute par manque de qualification et d’intérêt pour la chose publique.
Le PCC empêtré dans ses contradictions
Face à ce constat, le PCC met les bouchées doubles. Une palanquée d’articles et de dissertations sont publiées cette année pour justifier l’importance de l’enseignement idéologique dans les écoles, sur les sites les plus marxistes de l’officialité chinoise.
Le Quotidien du Peuple, par la voie de Weng Tiehui, déclare que « les cours idéologiques et politiques dans les écoles sont cruciaux (…) et leur rôle est irremplaçable » [24 juillet 2024]. Le très rouge quotidien Qstheory abonde : « l’éducation idéologique dans les écoles primaires et les collèges est une exigence inévitable » [avril 2024], avant de verser dans un gloubi-boulga de termes sans queue ni tête, indéchiffrable.

Par ailleurs, le 1er septembre 2024 est promulgué une « loi sur l’éducation patriotique » qui se résume à une simplification de l’exigence éducative afin de mieux enseigner « le patriotisme, l’amour du Part et l’amour du socialisme » [Zenit.org]
Et cette semaine, le gouvernement menace de sanction les professeurs récalcitrants.
Mais le problème de fond semble insoluble. Le PCC affronte plusieurs difficultés entrelacées les uns les autres :
(1) L’idéologie, et en particulier la pensée de Xi Jinping, ennuie autant les professeurs chargées de l’enseigner que les élèves. De nombreux parents d’élèves s’en sont d’ailleurs déjà plaint à des médias étrangers.
Le parallèle facile est l’APL. Depuis 2015, l’accent est mis sur la formation idéologique des soldats. 33% de leur temps est consacré à l’étude de la pensée de XJP. Cela fait presque 10 ans, et les militaires s’en désintéressent toujours autant.
Par ailleurs, comme l’explique le commentateur et journaliste Deng Yuwen [邓聿文], réfugié aux EU, « dans la société moderne, il est difficile de changer fondamentalement la pensée des gens via un mouvement d’éducation et d’apprentissage idéologique de haute intensité ». D’autant qu’ici, la pensée en question est plutôt opaque.
(2) Le niveau général des professeurs hors des grandes ville est bas. Le bassin de recrutement est faible, les salaires sont faibles, et certaines régions rurales deviennent de véritables déserts éducatifs. Les écoles ont rarement le luxe du choix pour désigner leurs titulaires.
(3) Les objectifs éducatifs sont pleins de contradictions. Pour XI Jinping, « la tâche principale de l’éducation à l’école est de cultiver l’intégrité morale des gens ». Les professeurs doivent à la fois « améliorer la qualité de leurs enseignements » et « adhérer pleinement aux orientations marxistes [du Parti] ».
Peu qualifiés, les professeurs sont pourtant appelé à devenir des modèles de vertu. Ils doivent être innovants sans jamais dévier d’une ligne opaque. Ils doivent être déliés dans leurs pensées, mais tenus sous le contrôle étroit d’une branche de Parti locale.
Dans un tel contexte, doublé d’un climat de suspicion et de délation, il est logique que la plupart des professeurs soient tentés de glisser la question de l’éducation politique sous le tapis, de faire le strict minimum.
Réponse finale: oui, les professeurs enseignent la pensée de XJP, mais sans enthousiasme, mal, et le plus rapidement possible.
Noé Hirsch