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PARPCC#22 – Que pensent les chercheurs chinois de la Russie ?

PARPCC#22 – Que pensent les chercheurs chinois de la Russie ?

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les commentateurs ont largement relayé des éléments évoquant un rapprochement sino-russe : des échanges commerciaux intensifiés, une « amitié sans limite », un soutien diplomatique tacite à l’agression russe, etc. Mais qu’en est-il dans la communauté des experts et chercheurs chinois proches du pouvoir : comment la guerre en Ukraine a-t-elle modifié la façon dont ils perçoivent la Russie ?

En passant au crible les écrits des figures les plus influentes des think tanks chinois proches du pouvoir, Sagild et Hsuing montrent que l’invasion de l’Ukraine n’a pas modifié fondamentalement les motivations premières du rapprochement sino-russe.

Pour les chercheurs chinois, cette coopération se fonde avant tout sur la nécessité de gérer une frontière commune et longue de 4200 km avec son plus grand voisin direct. En revanche, depuis la mutinerie avortée de Wagner, s’ajoute à ces raisons géopolitiques ‘basiques’ la nécessité de prévenir la potentielle instabilité du régime russe.

Au niveau militaire, et comme leurs collègues russes, les experts chinois considèrent l’invasion de l’Ukraine comme l’issue inévitable de l’élargissement oriental de l’OTAN. Ils voient dans le conflit russo-ukrainien une guerre ‘par proxy’ qui se joue entre la Russie et les Etats-Unis. Toutefois, l’invasion de l’Ukraine, précédée de nombreuses actions illégales russes (notamment l’annexion de la Crimée en 2013), fait émerger au sein des chercheurs la crainte d’un expansionnisme de la Russie dans son voisinage qui pourrait un jour toucher les régions frontalières chinoises. Cette menace est relativement tempérée par le jugement sévère fait en Chine de la performance militaire russe en Ukraine.

Au niveau économique, la guerre en Ukraine a renforcé l’idée, à Pékin, que la relation sino-russe serait asymétrique. Face à l’usage immodéré par la Russie des hydrocarbures comme monnaie d’échange dans les négociations internationales, les chercheurs chinois soutiennent la nécessité aujourd’hui d’une diversification dans les approvisionnements énergétiques de Pékin.

Enfin, c’est sur le plan diplomatique que les perceptions des experts chinois ont le plus évolué depuis 2022. Même s’ils considèrent que la Russie et la Chine partagent le souhait d’un ordre mondial plus accommodant, le risque d’une Chine marginalisée, si Pékin venait à continuer d’approfondir son partenariat avec la Russie, est pour eux important.  

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En somme, la perception de la Russie par les experts chinois a évolué de manière inégale depuis l’agression russe contre l’Ukraine. Elle reste en large partie basée sur les mêmes principes qui ont favorisé le rapprochement des deux acteurs avant la guerre. Néanmoins, pour Sagild et Hsiung, la vision exprimée par les analystes chinois sur les volets militaire et diplomatique donnent à voir une solution pour les pays occidentaux : seul un partenariat avec la Russie devenu « trop coûteux » pourrait infléchir significativement la posture de la Chine vis-à-vis de son voisin.

Référence: Sagild, Rebecca Asnes; Hsuing, Christopher Weidacher (2024), “Chinese Re-examinations of Russia: the Strategic Partnership in the Wake of Russia’s War Against Ukraine”, Journal of Contemporary China, pp.1-16.

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