PARPCC #23 – La Chine va-t-elle passer devant les Etats-Unis dans le domaine de l’IA ? 4 septembre 2024 Par Camille Brugier L’intelligence artificielle est communément perçue par la Chine et les Etats-Unis comme étant une technologie stratégique capable de rebattre les cartes. Ses applications diverses, y compris dans le champ militaire, pourraient donner un avantage comparatif précieux à l’acteur le plus innovant. Le système d’innovation chinois, largement remanié depuis les politiques d’ouverture de Deng Xiaoping, a fait ses preuves dans d’autres domaines. Est-il pour autant en capacité de donner l’avantage à la Chine dans un domaine aussi stratégique que l’IA ? Pour Lundvall et Rikap, réussir dans le champ de l’innovation dépend de deux éléments : un écosystème d’innovation national ; et des entreprises actives en R&D qui interagissent et collaborent étroitement entre elles. Les géants de la Tech, comme Alibaba et Tencent, ont bénéficié de la création, par la Chine, du « Great Firewall », qui empêchent de facto les grandes entreprises américaines d’accéder au marché chinois, laissant ainsi le champ libre au développement des entreprises chinoises. Cela a garanti notamment aux entreprises chinoises l’usage quasi-exclusif des bases de données chinoises dans de nombreux domaines – des moteurs de recherche aux paiements bancaires. A l’instar d’Alibaba et Tencent, les géants chinois s’appuient aussi essentiellement sur la recherche des universités chinoises ; utilisant les brevets issus du secteur académique sans les détenir. Pour Lundvall et Rikap, ces caractéristiques de l’écosystème de la recherche et de l’innovation chinoise présentent certaines forces et faiblesses : D’une part, la Chine peut s’appuyer sur la qualité et le nombre de talents formés (en master comme en doctorat) même si les besoin de l’industrie restent en partie insatisfaits. D’autre part, les géants chinois déplorent le manque de financement public dans les échelons primaires de la TRL (technology readiness level) : les sciences fondamentales. En d’autres termes, la Chine financerait trop peu le développement théorique de l’IA, et par effet de ricochet, les technologies qui les accompagnent. Les hausses budgétaires récentes restent encore modestes par rapport aux dépenses américaines dans ces domaines. Ludvall et Rikap notent aussi à la lecture des documents officiels chinois, l’identification par Pékin de divers défis pour le développement de l’IA: les standards techniques, l’accès aux plateformes logicielles et les semi-conducteurs. Toutefois, les entreprises chinoises ont « innové » pour pallier aux faiblesses du système d’innovation chinois en créant des centres de R&D à l’étranger : cela leur permet à la fois d’avoir accès aux talents manquants, de bénéficier de financements scientifiques supplémentaires pour les TRL visés, et d’approvisionner en semi-conducteurs leurs projets de recherche « expatriés ». See Also PARPCC #19 – Est-ce que les Fonds d’Investissements Guidés sont efficaces pour financer la recherche en Chine ? Pour Lundvall et Rikap, les géants chinois de la tech sont donc en bonne voie pour relever les défis structurels de l’écosystème de l’innovation chinois. Ils estiment en revanche le choix de la Chine de laisser son système d’innovation ouvert (ou non) déterminera la capacité du pays à devenir leader mondial en IA. En pratique, si la Chine venait par exemple à limiter l’implantation de ses géants à l’étranger [on pourrait évidemment discuter du rôle joué par les puissances occidentales, par les sanctions et la régulation, dans la croissance de ces entreprises] elle prendrait certainement du retard sur ses concurrents dans le domaine. En d’autres termes, la volonté du PCC de faire de la Chine la première puissance scientifique du monde, y compris dans le domaine de l’IA, pourrait bien se heurter au souhait de Xi Jinping de garder le contrôle sur les grandes entreprises de la tech comme Alibaba et Tencent – à coups de mantra de la « prospérité commune », et de lois favorisant les entreprises d’Etat au détriment des entreprises privées. Référence: Lundvall, Bengt-Ake ; Rikap, Cecilia (2022), « China’s Catching Up in Artificial Intelligence Seen as a Co-Evolution of Corporate and National Innovation Systems”, Research Policy, vol.51, pp. 1-13.