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PARPCC #10 – Le système de notation des entreprises en Chine : mesure efficace d’incitation à la vertu entrepreneuriale ?

PARPCC #10 – Le système de notation des entreprises en Chine : mesure efficace d’incitation à la vertu entrepreneuriale ?

Panda, Alcool de Riz et PCC

Panda, Alcool de Riz et PCC est une colonne de Camille Brugier, visant à introduire des articles scientifiques à une audience plus large. Ses publications sont à retrouver sur son fil Twitter.

Peut-on mesurer si une entreprise est fiable financièrement, responsable socialement et irréprochable juridiquement? Dans le rêve des dirigeants chinois oui…dans la réalité c’est plus compliqué.

Le système de notation des entreprises en Chine : mesure efficace d’incitation à la vertu entrepreneuriale ?

Yu-Hsin Lin et Milhauptz étudient ici la création en Chine d’un système de crédit social pour les entreprises (CSE) (企业社会信用体系), qui doit permettre d’évaluer leur fiabilité. Comment fonctionne le CSE et comment faire pour y être bien classé ?

Vous n’aviez pas trop entendu parler du CSE ? C’est normal, la presse s’est beaucoup focalisée sur un système parallèle de crédit social pour noter les citoyens. L’objectif initial est de pallier un cadre légal sommaire et d’encadrer l’action des entreprises en les « notant » dans la droite ligne du « capitalisme d’Etat » chinois. Le PCC a bossé dur et a officialisé le CSE en 2014 (document de politique publique original ici).

Comment fonctionne ce système de notation ? Grosso modo il doit collecter beaucoup de données sur le comportement des entreprises – leur compliance, le résultat des inspections du travail, l’historique de leurs paiements, leur dette, etc. Comme souvent dans les politiques publiques chinoises, un grand nombre d’acteurs sont impliqués: les ministères, les provinces, les agences de régulation du marché, la Banque Centrale; mais aussi les Big Tech chinois comme Huawei, Alibaba, Tencent qui ont aidé Xi à perfectionner le système pour créer une méga base de données : the National “Internet +Monitoring” System (国家“互联网+监管”系统)

Une fois notées, les entreprises reçoivent des récompenses… ou des punitions. On ne parle pas de gommettes ni de stage de rattrapage de points, mais de listes rouges et noires.

La liste rouge c’est bien. Eh oui, le rouge est une couleur particulière en Chine. Les entreprises listées ont accès à certains marchés publics, à des financements/investissements plus conséquents. La liste noire, elle,  déclenche des inspections du travail, des restrictions à l’emprunt (c’est d’ailleurs ce qui est arrivé dernièrement à de nombreux promoteurs immobiliers).

Pour le Zhejiang, seule province à avoir publié les résultats de l’évaluation à ce jour, on retient que :

  • 1/ les entreprises plus rentables ne sont pas mieux notées
  • 2/ les entreprises les plus exposées aux marchés sont moins bien notées
  • 3/ les entreprises bien connectées politiquement (celles dont les dirigeants ont une fonction au sein du Parti ou dans le gouvernement) sont mieux notées.

Surprise? Pas vraiment. En creusant le barème, les auteurs montrent ce qu’on savait déjà sur les classements – qu’ils peuvent être biaisés. Ici, en faveur du PCC…

Parmi les 5 critères comptant pour la note, seul 1, celui de la « responsabilité sociétale » concentre les mauvaises notes (3,8/10 de moyenne). Sur les autres critères, les entreprises ont des scores généralement élevés -par exemple 9,9/10 en moyenne sur les « informations basiques ».  Dit autrement, pour améliorer leur note, les entreprises ont de la marge sur ce critère, moins sur les autres. Or, pour progresser sur la responsabilité sociétale il faut faire des dons auprès d’organisations accréditées par le Parti, du travail bénévole, des prix remportés auprès du Parti pour leurs actions pour la société.

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Avec des scores « soviétiques » sur certains indicateurs, on peut se demander si le barème du Zhejiang montre que les entreprises y sont vraiment fortes (la province de Zhejiang a effectivement un tissu entrepreneurial très développé) ou si les indicateurs choisis mesurent vraiment ce qu’ils veulent mesurer.

Le PCC peut vouloir changer les comportements des entreprises avec de bonnes intentions (pénaliser celles dont les dirigeants trichent par exemple) mais les résultats du Zhejiang montrent des incitations perverses. Si l’entreprise est mieux classée en ayant des liens avec le Parti et en prenant peu de risques, plutôt qu’en ayant une bonne santé financière, est-ce que c’est vraiment une bonne chose pour l’entreprise, ses salariés, et l’économie chinoise de façon plus générale?

Avec le CSE, le gouvernement chinois fait avec les entreprises comme Meta avec ses utilisateurs à travers le monde : collecter des données. Il y a toutefois plusieurs différences de taille : en Chine c’est fait par l’administration ; et non pas pour un but commercial, mais politique. Le système de crédit (et de surveillance) est donc beaucoup plus qu’une simple agence de notation. A la lecture des expérimentations du CSE, la tentation d’un régime autoritaire pourrait être d’essayer de changer de thermomètre pour indiquer que ‘tout va bien’. La température réelle, elle, restera la même…

Référence: Lin, L. Y. H., & Milhaupt, C. J. (2021), “China’s Corporate Social Credit System: The Dawn of Surveillance State Capitalism?”, The China Quarterly, 1-19.

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