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Sun Zi et son Art de la Guerre – Toujours en Odeur de Sainteté ?

Sun Zi et son Art de la Guerre – Toujours en Odeur de Sainteté ?

Panda, Alcool de Riz et PCC

Panda, Alcool de Riz et PCC est une colonne de Camille Brugier, visant à introduire des articles scientifiques à une audience plus large. Ses publications sont à retrouver sur son fil Twitter.

Le célèbre bouquin l’Art de la Guerre, de Sun Zi (Sun Tzu ; Sun Tsi de ses petits noms), est perçu en Occident comme une source d’inspiration majeure de l’Armée populaire de libération (APL) – l’armée chinoise – et des élites chinoises. Mais qu’en est-il aujourd’hui, presque 2500 ans après la mort de Sun Zi ?

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Pour Andrea Ghiselli, auteur de l’article sous la loupe cette semaine, la réponse est claire : Sun Zi exerce encore une influence importante sur les officiers chinois.

Cet article questionne la notion de culture stratégique, définie comme les éléments relevant de ce qu’est la guerre et comment on la conduit (pour la gagner !) dans une culture donnée. Au fil des succès et des défaites militaires, l’élite va mettre en avant certains concepts et en écarter d’autres ; et même ressortir parfois de vieilles malles poussiéreuses une idée, un stratagème, un auteur qui permettent de conceptualiser la guerre telle qu’elle est vécue ou telle que l’on souhaite désormais la mener.

Ghiselli montre que Sun Zi reste encore l’auteur le plus cité dans les journaux militaires chinois. Par exemple, les militaires pensent que la structure fragmentée de la sphère internationale contemporaine est similaire à la Chine aux périodes du Printemps et de l’Automne (441-481 av. JC). Cela justifierait pour eux le fait de ressusciter le vieil adage « 不战而屈人之兵” – “soumettre l’ennemi sans combattre”. En effet, de nombreux outils à disposition – économiques, diplomatiques, ou militaires – restent en-dessous du seuil d’usage de la violence et permettent de remplir des objectifs militaires sans verser une goutte de sang. Il y a donc chez l’élite militaire chinoise contemporaine, comme chez Sun Zi, une nette préférence pour l’usage de moyens autres que la force. Cependant, dans une situation où l’usage de la force serait perçu comme inévitable, il y aurait, toujours dans la lignée des préceptes de Sun Zi, une préférence partagée pour l’usage préemptif et massif de la force afin de dissuader l’ennemi de s’engager dans la guerre.

De ces éléments, Ghiselli conclut, comme le chercheur Johnston avant lui, que la culture stratégique chinoise (en tout cas celle de l’APL) est « réaliste » au sens des différentes écoles de pensée des relations internationale. En bref, l’APL estime que la compétition entre grandes puissances en l’absence d’un « gendarme » international mène inexorablement au conflit.

Vu ainsi, notre avenir est assez sombre. Pourtant, les leçons qu’en tire Ghiselli redonnent un peu d’espoir. L’auteur nous montre que la culture stratégique peu se faire et se défaire. D’abord 1) suite à des défaites militaires qui appellent à un ajustement de la manière de mener la guerre (puisqu’on la perd) et ensuite 2) car les élites socialisent (par la coopération avec d’autres élites étrangères, dans le cadre d’organisations internationales ou de coopérations bilatérales par exemple).

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Ghiselli explique qu’au lieu de se distancier de l’APL « belliqueuse », il faudrait d’avantage coopérer avec elle, particulièrement sur les sujets que ne traitent pas la culture stratégique chinoise. Car on l’oublie souvent : la Chine s’inspire très fortement de ce que font les autres. Cependant, l’auteur indique que les pays occidentaux doivent pour cela adopter une vision réaliste et une attitude plus leste envers la Chine – en d’autres termes, ne pas la traiter comme un Etat problématique, non démocratique et généralement « mauvais ». Mais simplement la considérer comme un Etat de plus en plus puissant, comme d’autres Etats avant elle.

Pour le moment, ce n’est pas le chemin qu’ont choisi les Occidentaux.

Référence: Ghiselli, Andrea (2018), «Revising China’s Strategic Culture: Contemporary Cherry-Picking of Ancient Strategic Thought”, The China Quarterly, Vol. 133, pp. 166-185.

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