
La Chine et la mer : un champ de bataille international
Bien qu’en déclin depuis les années 50 (l’industrie avait vidé la zone de 90% de ses poissons[1]), la mer de chine méridionale représente toujours 12% des captures sauvages annuelles mondiale. Elle fournit 20% de la totalité des produits de la mer d’Asie orientale[2].
Les 20 dernières années ont vue le stock total de ressources halieutiques de la zone diminuer de 75%, un stock déjà très affaibli dans les années 50. Cette situation de crise menace la prospérité de tous les acteurs de la région. Elle est intensifiée par les conflits géopolitiques et de souveraineté en mer de Chine, et oblige les riverains à rouvrir le dialogue.
La Chine impose son agenda politique via la question de la pêche
Sous le patronage de la Chine, un South China Sea Fisheries Science Working Group [FSWG] a été mis en place avec les principaux acteurs régionaux. De 2018 à aujourd’hui, 8 réunions ont eu lieu afin de définir un cadre à la pêche en mer de Chine méridionale. Ces réunions, médiées par le Center for Humanitarian Dialogue, ont abouti à un rapport conjoint : le Common Fisheries Resource Analysis (CFRA), visant à évaluer l’état des stocks de poissons.
Pour l’instant cantonnée aux constats communs, la Chine, via le FSWG, vise l’établissement de cadres normatifs dans des accords multilatéraux, afin d’échapper au droit international dont la décision de 2016 lui a laissé un souvenir amer[3]. En effet, la question de la souveraineté du Reed Bank, revendiquée par le Philippines, n’est toujours pas tranchée du point de vue de Pékin. Le gouvernement chinois n’a d’ailleurs pas hésité à envoyer des navires militaires sur place pour empêcher toute prospection, avant que Duerte accepte une exploitation conjointe Chine-Philippines des ressources pétrolières du site[4].
Les appétits de Pékin sur la mer de Chine méridionale sont énormes. La ligne en neuf traits [南海九段线], présentée dès 1947 par le gouvernement du Kuomintang, englobe près de 2 millions de km² et cela, au détriment de tous les acteurs régionaux. Ne pouvant s’appuyer sur le droit international pour asseoir ses prétentions, la Chine est contrainte d’imposer sa souveraineté de fait. Notamment par la pêche.

Ainsi, Pékin emploie deux moyens directs liés à la pêche pour imposer une souveraineté de fait.
1/ D’abord, des navires de garde-côtes chinois sont envoyés, notamment autours des îles Paracels et Sprateys pour appréhender les bateaux étrangers, et tirent même parfois sur les pêcheurs[5].
2/ La Chine publie annuellement un « ordre d’interdiction de pêche estivale[6] » sur sa zone de souveraineté, afin d’assurer le renouvellement des ressources halieutiques. Bien entendu, un tel interdit est un avertissement pour les pêcheurs étrangers, reconduits manu militari hors des zones revendiquées par la Chine, au besoin.
Ainsi, en 2020, le Vietnam a explicitement appelé ses citoyens pêcheurs à ne pas respecter l’ordre d’interdiction chinois. Des milliers de bateaux de pêche vietnamiens opèrent dans les eaux contestées de la mer de Chine méridionale, notamment près de la plage de Vanguard[7]. A cet égard, des universitaires comme Hu Bo enjoignent les autorités chinoises à « ne pas trop se soucier des droits humains » pour défendre la souveraineté chinoise sur la zone, « uniquement motivé par le désir de préserver la faune marine en mer de Chine méridionale »[8].
Mais cette sévérité chinoise ne s’applique pas nécessairement aux firmes chinoises. Ainsi, la China Tuna Corporation [中国金枪鱼产业集团] déclare sans ambages dans son prospectus qu’elle dépasse volontairement les quotas imposés par le gouvernement. Sans Greenpeace pour sonner la sirène d’alarme, l’entreprise n’aurait sans doute jamais été inquiétée.
Le désir chinois de protéger ses droits à la pêche a également provoqué la crise de l’île de Thitu[9], en 2018. Des navires de guerre chinois ont été dépêchés sur place et ont procédé à une manœuvre d’encerclement, avant de repartir, selon les images satellites procurées par Asia Maritime Transparency Initiative et le CSIS [10].
Ce qui nous amène à notre second point.
La Chine utilise la pression militaire pour imposer sa présence
Dans les réseaux militaires chinois, des simulations de bataille autour des îles et récifs contestés occupent régulièrement les colonnes. « Nous nous préparons pour la bataille », comme titrait le Quotidien de l’APL il y a quelques jours. Ici, pas question de ressources halieutiques. Simplement la patrie et l’appel du combat.
Terrain de propagande pour affermir l’esprit combattant des troupes, la mer de Chine méridionale est également un espace de militarisation croissante. 3 îles y ont été entièrement transformées en bases militaires par la Chine, comprenant systèmes de missiles anti-navires et anti-aériens, équipements laser et de brouillage et avions de combat. Les navires étrangers, notamment américains, qui exercent leur droit de navigation dans les eaux revendiquées par la Chine sont constamment avertis des conséquences possibles de leur venue, et enjoints à partir.

Cet aspect de l’expansion chinoise étant la plus documentée & suivie, nous ne nous y attarderont pas trop dans cet article.
Les grands acteurs de la pêche en renfort des prétentions chinoises
Si les questions l’extractions minières, pétrolières, d’avant-postes stratégiques relèvent d’intérêts cruciaux pour la Chine, les revenus liés à l’industrie halieutique chinoise ne doivent pas être négligés pour autant.
La Chine contribue à hauteur de 1/3 de la production mondiale de poissons. 17 millions de tonnes par an, contre 5 pour les Etats-Unis. Et d’immense conglomérats et multinationales chinoises doivent leur prospérité à la politique de conquête des espaces affirmées de l’Etat chinois.
La présence chinoise en mer de Chine méridionale est un point. Les ambitions maritimes le long de la BRI en est un autre. Ainsi, la China National Fishery Corporation (CNFC), un des premiers conglomérats de la pêche de Chine, acquiert des entreprises le long de ces lignes stratégiques. On compte, parmi leurs prises de guerre :
- Madagascar : La GAPCM [Societe Malgache de Pecherie S.A
- Portugal : Marfresco – ImportaCAo E ExportaCAo De Congelados E Mariscos]
Et a établi des succursales dans les pays suivants : Espagne, Sénégal, Guinée, Sierra Leone, Gana, Gabon, Nigéria, Inde, Yémen, Arabie Saoudite, Australie.
La CNFC est un cas emblématique du lien entre ambitions territoriales chinoises et développement économique halieutique. L’entreprise compte plus de 300 cadres du Parti communistes chinois, réunis dans des événements comme regarder« la retransmission en direct de la cérémonie d’ouverture du 20e Congrès national du Parti communiste chinois », ou l’organisation de journée d’éducation à la sécurité nationale.
Le président de la China National Fishery Corporation, Zong Wenfeng [宗文峰], est incroyablement transparent quant au rôle de son entreprise dans l’agenda politique de la Chine. Lors d’une réunion d’information, 2021, il déclare : « la société continuera à répondre à l’initiative nationale « Belt and Road » et au déploiement stratégique de la construction d’une « puissance maritime » »[11].
Pour résumer
La Chine allie donc la puissance économique de ses opérateurs en matière halieutique, à sa puissance militaire et son irrédentisme politique afin de sécuriser les nouveaux espaces maritimes qu’elle convoite. Le gouvernement refuse constamment la règle du droit international, lui préférant des méthodes de règlement des conflits alternatifs comme la FSWG, mais aussi des instances multilatérales comme l’ASEAN.
Noé HIRSCH
Références
[1] Rashid Sumaila et William Cheung, Université de Colombie-Britannique
[2] Rapport conjoint Chine, Malaisie, Philippines, Vietnam, 09/2022
[3] La Haye, 2016, Chine C/Philippines
[4] Cao Qun, International Studies, 2019-04-04
[5]www.courrierinternational.com/article/asie-une-peche-tres-disputee-en-mer-de-chine-meridionale
[6] 中国南海伏季休渔
[7] 万安滩
[8] Hu Bo [胡波], directeur du centre de recherche sur la stratégie marine de l’université de Pékin, in Global Times, 05/2020
[9] En mandarin, 中业岛.
[10] Même si les think tanks et autorités chinoises démentent encore aujourd’hui. L’île est depuis progressivement militarisée par les Philippines.
[11] 公司将继续响应国家“一带一路”倡议和建设“海洋强国”的战略部署