PARPCC#11 – La crise de l’immobilier chinoise 10 octobre 2023 Panda, Alcool de Riz et PCC est une colonne de Camille Brugier, visant à introduire des articles scientifiques à une audience plus large. Ses publications sont à retrouver sur son fil Twitter. Acquérir de l’immobilier n’a pas la même valeur en Chine qu’en Europe et aux Etats-Unis. Pourquoi ? Pour les citoyens d’abord, parce qu’en Chine, pour le commun des mortels, l’immobilier est souvent le seul moyen d’accroitre ses revenus en-dehors du travail dans un Etat qui limite énormément l’accès des ménages aux produits financiers. La “pierre” est un produit financier autant qu’un toit à mettre au-dessus de sa tête. L’immobilier représente d’ailleurs plus de 60% du patrimoine d’un ménage chinois, soit autant qu’en France (62% du patrimoine des français en 2021 selon l’INSEE) mais bien moins qu’aux Etats-Unis (30% du patrimoine). Pour l’Etat ensuite, parce que les terres sont le monopole des autorités (locales) et un moyen de renflouer les budgets : on appelle ça le land financing. Cette manne financière a gagné en importance depuis les années 90 avec la « libéralisation » du marché immobilier.Les provinces peuvent donc vendre peu ou beaucoup, cher ou pas cher, pour faire rentrer de l’argent dans les caisses. Comme dans d’autres parties du monde, mais à un degré largement inégalé, les autorités chinoises sont donc à la fois juge et partie lorsqu’il est question d’immobilier. Alors que l’Etat semble être aux manettes, l’immobilier chinois semble pourtant être aujourd’hui devenu un monstre incontrôlable. Durant les deux dernières décennies, les prix réels ont augmenté parfois de 15 à 20% par an. Imaginez donc une maison à 300,000 euros qui passe à 360,000 l’année d’après ! Et ce, tous les ans… pas seulement pendant la période COVID… On sait que certaines villes sont plus attractives que d’autres, mais en Chine cette loi de l’offre et de la demande est perturbée par une considération légale : vous n’avez pas le droit de vivre où vous voulez. Ce n’est pas Airbnb qui vous poussera hors de votre ville, mais déjà les autorités qui vous accordent, ou non, le droit d’y résider. C’est le système du hukou : il est attribué en fonction du lieu de naissance. Plus qu’une carte d’identité, ce système régule les flux sur le territoire, et empêche de facto la main d’œuvre rurale de travailler, de vivre, d’avoir recours aux services publics, ou d’acheter un bien… en ville. Certaines provinces, comme le Zhejiang en juillet 2023, ont dit vouloir réformer ce système – mais ce n’est pas la première fois que de telles annonces restent sans effet. Les prix ont augmenté dans les villes pour deux raisons: 1) sous l’effet des déplacements de population en Chine, et la venue de nouveaux habitants en ville, qui pour certains deviendront propriétaires ; et 2) surtout, et notamment depuis 2010, suite aux politiques des autorités locales, qui limitant la vente de terrains, ont nourri des bulles immobilières. See Also #PARPCC 21 – Remettre le PCC au centre : les « campagnes idéologiques » de Xi Que faire ? Pour Liu et Ou, inutile de limiter davantage les « migrations internes » puisque les critères sont déjà très stricts à Shanghai, Pékin et les autres mégalopoles. Pour eux, il faut plutôt créer d’autres moteurs de croissance sur l’ensemble du territoire chinois pour que la population se répartisse mieux à travers toutes les zones urbaines. La deuxième chose à faire (pas forcément plus aisée) : inciter les gouvernements locaux à être plus transparents sur la vente de parcelles, en lissant et adaptant l’offre afin qu’elle devienne plus prévisible. Référence : Liu, Chunping et Ou, Zhirong (2022), “Revisiting the determinants of house prices in China’s megacities: Cross‐sectional heterogeneity, interdependencies and spillovers”, The Manchester School, Vol. 90(3), pp. 255-277. Auteur: Camille Brugnier.