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PARPCC#12 – L’implantation de Radio Chine Internationale au Sahel : pour qui, pourquoi et comment ?

PARPCC#12 – L’implantation de Radio Chine Internationale au Sahel : pour qui, pourquoi et comment ?

Panda, Alcool de Riz et PCC est une colonne de Camille Brugier, visant à introduire des articles scientifiques à une audience plus large. Ses publications sont à retrouver sur son fil Twitter.

Alors que depuis janvier 2022 les troupes françaises se retirent progressivement du Sahel, de nombreuses voix déplorent l’influence croissante de la Chine en Afrique, notamment via ses médias (Xinhua et Radio Chine Internationale surtout). A partir d’environ 250 contenus médias, Selma Mihoubi regarde comment RCI traite l’info dans cinq pays africains (Sénégal, Niger, Mauritanie, Burkina Faso et Mali) pour chercher à comprendre à qui, et de quoi la Chine souhaite parler au Sahel.

Première information, la présence médiatique chinoise n’est pas nouvelle sur le continent africain. Dans les années 1950, Radio Pékin s’adressait déjà aux communautés chinoises installées en Afrique de l’Est et australe, dans un contexte de Guerre Froide marqué par les accents anti-impérialistes et tiers-mondistes de Mao ZeDong. Depuis, la Chine cherche surtout à imposer un narratif auprès des populations locales : selon Mihoubi, « Pékin a pris le parti de développer ses propres systèmes de médias internationaux, afin de proposer sa vision de l’actualité internationale, ainsi que des partenariats sino-africains ». Le 12ème plan quinquennal (2011-2015) consacre la diplomatie médiatique chinoise, qui doit « renforcer la compétitivité à l’international et le pouvoir d’influence de la culture chinoise, et améliorer le soft power du pays ».  Ainsi, les radios chinoises diffusent surtout depuis les villes les plus peuplées, alphabétisées et économiquement dynamiques du Sahel – Dakar, Saint-Louis, etc.

Et qu’est-ce qui se dit sur RCI ?

D’abord, la radio chinoise légitime les gouvernements en place – et évite les polémiques nationales (ex : élections contestées). Pas étonnant alors que la Chine fasse autant profil bas face à la série de coups d’Etats des derniers mois. Si d’un côté ces coups peuvent affaiblir les puissances occidentales, ils peuvent aussi nuire à la bonne marche des activités économiques chinoises, qui reste une puissance encore largement incomplète militairement sur le continent africain. Pékin ménage la chèvre et le chou, décidant de s’abstenir sur la prolongation de sanctions contre les juntes, alors que la liste des « pays à risque » s’allonge de mois en mois. 

Ensuite, RCI couvre « négativement » tout ce qui de près ou de loin ressemble à une contestation séparatiste dans les pays africains. Elle parle peu des zones où les entreprises chinoises opèrent (normal, elle exploite des ressources naturelles), mais beaucoup en revanche des zones de tensions et de revendications (la frontière nigéro-malienne, autour du Lac Tchad), ce qui fait écho au stress chinois sur l’intégrité de son territoire revendiqué, du Xinjiang au Tibet, en passant par Taïwan.

Troisièmement, la Chine dit beaucoup de bien d’elle-même ! RCI fait intervenir des dirigeants positivement sur l’action de la Chine en Afrique. La radio devient un véritable outil de diplomatie publique : on y défend en particulier régulièrement la position de la « Chine unique » (aka le conflit avec Taïwan). Selma Mihoubi explique même que les dossiers chauds tels que la mer de Chine sont bien plus mentionnés sur RCI que l’actu de nombreuses villes « secondaires » des pays dans lesquels elle émet !

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Et quid des autres puissances présentes sur le continent africain ? On est clairement dans un relation de rivalité:  côté chinois, on dénonce le néocolonialisme; côté français, des atteintes aux droits de l’homme, de l’accroissement de la dette des pays africains par leur dépendance vis-à-vis de la Chine, etc.

Avec RCI, la Chine remplit divers objectifs : consolider des relations dites « bilatérales » (terme peu adapté, l’Afrique étant un continent, et non pas un pays) ; affirmer sa position sur la scène internationale…et saper l’influence de ses rivaux.

Référence: Mihoubi, Selma (2019), “La Stratégie d’Implantation de Radio Chine Internationale (RCI) en Afrique Sahélienne », NOROIS, Vol. 252, pp. 89-102.

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