Des utilisations commerciales de la constellation Beidou (2/2) 27 octobre 2020 Cette synthèse a été réalisée par Lucie Sénéchal-Perrouault, doctorante au CNRS. Le featuring de CGTN au Congrès Astronautique International Du 12 au 14 octobre 2020, la 71 édition du Congrès Astronautique International (IAF), initialement prévu à Dubaï s’est tenue en ligne, ouvrant un accès libre à cet évènement important pour la communauté spatiale internationale. Si l’on a retenu la sortie du président de l’agence spatiale russe Dmitry Rogozine sur le caractère unilatéral de l’approche américaine à l’exploration lunaire à l’aune des accords Artémis, une autre table ronde, animée par CGTN sous le titre A new era in commercial space, est passée relativement inaperçue. L’émission, désormais disponible sur Youtube, mêle pourtant l’utile à l’agréable. Portée par une mise en scène futuriste, elle est aussi truffée d’effets spéciaux que de saillies politiques, révélatrices des positions officielles chinoises du moment. À commencer par son titre, référence à la pensée de Xi Jinping d’une économie à caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère (习近平新时代中国特色社会主义思想). Le show est animé par le truculent Yue Zhou 悦邹 de la télévision nationale chinoise CGTN, en présence de Liu Le 刘乐, représentant de la division commerciale de China Volant Industry 中国华腾工业有限公司, filiale du conglomérat d’État CASIC, et Xu Kevin Yawei 徐亚伟 directeur général du marketing de Landspace, start up de lanceurs connue. Parmi les invités internationaux, la présidente de l’IAC Pascale Ehrenfreud, des représentants du secteur publics russe et indien, Clayton Mowry, représentant de Blue Origin, et la fondatrice d’une jeune entreprise d’applications spatiales agricole en Uruguay. Ils invités à répondre à des questions larges : place du spatial dans les activités humaines, congestion de l’orbite terrestre, exploitation des ressources extra-terrestres etc. autour de la thématique de l’espace commercial. Évoquant les lanceurs, le présentateur s’exclame : « en fait, il n’y a pas que les gouvernement à faire des fusées ! » avant de présenter de 6 modèles : GSLV, petit lanceur indien, Zhuque 2, modèle de Landspace, Souyuz 2, Ariane 5, New Glenn de Blue Origin, Long March 9. On peut s’étonner de la sélection, qui inclut des initiatives étatiques (GSLV, Soyuz, Ariane, LM toujours en phase de développement) aux côté de start-ups (Landspace et Blue Origin). Au-delà d’une mise en avant des capacités nationales, ce drôle de classement va aussi dans le sens d’une conception chinoise du New Space ou les frontières entre les secteurs privés et publics sont poreux, conception qui innerve le show. « En parlant de compétition et de coopération, les entreprises commerciales américaines, comme Blue Origin et SpaceX, coopèrent avec les capacités spatiales de la NASA… quel vous semble le bon équilibre en ce domaine ? », Zhou Yue demande, l’air de rien, à Clayton Mowry. S’adressant à Liu Le, ce dernier lui confirme c’est un appel du gouvernement en 2014, aux entreprises et au système financier privé qui a amené à l’éclosion d’au moins 200 entreprises du secteur. En guise de conclusion, le présentateur déclame gravement : « le chemin vers le développement spatial n’est pas un choix en noir et blanc entre le gouvernement et les entreprises. Alors que le commerce spatial continue sa croissance, les décideurs politiques doivent être plus économes, parce que l’espace est grand. C’est bien d’être là où on est, mais cela ne nous empêchera pas d’aller plus loin ». La caméra dérive, méditative, sur les météorites en image de synthèse qui gravitent autour du plateau. « L’espace est un grand endroit« L’État guide, le marché opère Le spatial chinois s’ancre dans un modèle de coopération et de subordination entre le gouvernement et le secteur privé, parfois résumé comme : l’État guide, le marché opère 政府引导,市场运作. Pour faire suite à la première analyse sur les applications commerciales de Beidou, cet article revient sur les rapports entre l’État et les entreprises dans ce domaine. Si la prise de décision centralisée permet d’articuler le spatial avec les politiques nationales plus larges, elle présente aussi le risque de provoquer une surenchère des gouvernements locaux sans rapport avec la réalité d’un marché spatial peu mature. Le Quotidien des sciences 科技日报 a réalisé une interview de Fan Chunming 樊春明, doyen de l’Institut de navigation par satellite et d’ingénierie de l’information spatiale de l’Université de Minjiang 闽江学a卫导与空间信息工程研究院院长 et spécialiste de la navigation et du positionnement par satellite sur le thème: « Quelles sont exactement les “compétences uniques” de la navigation Beidou ? » Son témoignage aborde notamment les rapports entre l’État et les entreprises d’applications spatiales de Beidou. Le chercheur insiste sur le rôle directeur de l’Etat: c’est partir des priorités politiques et économiques de portée large que sont déterminés les systèmes spatiaux, la recherche et l’orientation des fonds. En l’occurrence, l’auteur insiste sur la « Chine numérique » 数字中国, mais on pourrait aussi prendre l’exemple des nouvelles routes de la Soie. « Ce n’est qu’en faisant bon usage de Beidou dans le domaine des applications que les excellents ‘gènes’ de Beidou pourront être pleinement mis en œuvre. Afin de développer le marché des applications de navigation par satellite, il est nécessaire, au niveau macro, de planifier des systèmes d’application, les technologies et services associés en fonction des caractéristiques du système de navigation par satellite et de ses perspectives d’application industrielle. Ainsi, c’est à l’aune de la ‘Chine numérique’数字中国 qu’il faut planifier les systèmes d’application de navigation par satellite et la recherche sur les technologies et services associés. Ce n’est qu’en réussissant bien dans les applications transnationales que nous exploiterons pleinement le potentiel de Beidou. Il est nécessaire d’encourager la recherche sur la navigation par satellite et la technologie de positionnement pour cibler directement les applications transnationales. En particulier l’investissement du gouvernement doit laisser place à l’essai et à l’erreur 留出试错空间 pour l’innovation transnationale. De même, en termes de planification et de budgétisation, le gouvernement doit avoir la capacité de prendre des décisions transnationales. Il doit prêter attention à et comprendre les besoins, ouvrir les canaux de transmission d’informations et de communication entre le niveaux décisionnels et opérationnels, définir les orientations à donner au développement de l’industrie dans son ensemble sur la base de conseils professionnels, faire bon usage du budget, encourager et inciter les entreprises privées à jouer un plus grand rôle dans l’industrie de navigation par satellite. J’ai confiance que, sous la guidance d’une série de politiques macroéconomiques, l’industrie Beidou apportera des contributions importantes à la transition industrielle nationale 国家产业转型 et à la construction de la Chine numérique. » Fan Chunming, qui défend par ailleurs une approche centraliste des politiques industrielles spatiales, souligne ainsi dans le même temps que le niveau décisionnel doit prendre en compte les besoins ascendants issus du niveau opérationnel. L’application locale des priorités : course à l’échalote et miroir aux alouettes Comment faire correspondre les priorités politiques et la demande réelle? Un article de Beijing Business Today 北京商报 : »Beidou monte au ciel, l’industrie de navigation est en pleine floraison » donne des éléments de réponse. Certains gouvernements locaux, appliquant les mots d’ordre issus du pouvoir central, cherchent à favoriser le développement d’activités liées aux applications spatiales par la création de ‘zones d’innovation’ dédiées. Mais cela ne reflète pas forcément un réel essor entrepreneurial, ni ne garantit l’existence d’un marché. Ce contenu est réservé aux abonnés. Identifiez-vous ou créez un compte en cliquant ici