Usines cherchent travailleurs désespérément
A la suite de l’article publié la semaine passée, nous continuons d’explorer les bouleversements du marché de l’emploi chinois.
Nous sommes heureux de vous présenter un second article de Xavier, cette fois consacré à la pénurie de main d’œuvre dans le secteur manufacturier.
Bonne lecture,
[/vc_column_text][vc_btn title= »Nos services » style= »classic » color= »juicy-pink » align= »center » link= »url:http%3A%2F%2Fwww.eastisred.fr%2Fservices||| »][/vc_column_inner][vc_column_inner width= »1/2″ alignment= »center »][vc_single_image image= »22611″ alignment= »center »][/vc_column_inner][/vc_row_inner][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space height= »18px »][vc_column_text]À la suite de notre article portant sur les travailleurs migrants « trop âgés », « exclue » des chantiers et des usines une fois passé les soixante ans, nous nous intéressons ici à la jeune génération de travailleurs en Chine, notamment celle qui évolue dans le secteur manufacturier. En effet, cette génération, soucieuse de meilleures conditions de travail, semble être la clé pour résoudre l’équation de la pénurie de main-d’œuvre dans certains segments de l’industrie manufacturière chinoise
Quelle est l’ampleur de cette pénurie de main-d’œuvre ?
La pénurie de main-d’œuvre pousse désormais les usines chinoises à tout faire pour attirer la jeune génération sur les lignes de production. Le Bureau national de statistiques indique qu’en 2021, 44 % des entreprises manufacturières ont connu des des difficultés de recrutement, ce qui fait de l’embauche leur problème principal. Selon les chiffres donnés récemment par la chaîne CCTV 2 (央视财经), le secteur manufacturier va être durement touché d’ici 2025, car la pénurie de talents (人才缺口) risque de concerner 30 millions de personnes.
Dans le secteur manufacturier, l’écart entre une forte offre d’emploi de la part des usines et une faible demande de la part des travailleurs met en lumière une inversion du rapport de force entre le secteur manufacturier et un secteur des services qui happe désormais la grande majorité des travailleurs, notamment les plus jeunes. Cette inversion explique un phénomène nouveau : celui de patrons d’usines qui vont jusqu’à « supplier pour embaucher des travailleurs » (老板求人打工).
Un exemple récent vient souligner cette nouvelle « soif de travailleurs » provenant des usines chinoises (工厂对工人的“饥渴”). En octobre 2020, lorsque l’usine Stanley Patel, implantée à Shenzhen (史丹利百得精密制造有限公司), se met à l’arrêt, elle provoque la mise au chômage soudaine de plus de 2 000 salariés. Très vite, les usines concurrentes se jettent sur cette opportunité et embauchent les salariés de Stanley Patel à tour de bras, allant parfois jusqu’au doublement des salaires des ouvriers les plus qualifiés. Si cet exemple met en exergue la concurrence féroce entre usines en proie à un manque de main-d’œuvre criant, il montre également que cette compétition peut parfois profiter aux salariés de ce secteur.
Dans ce contexte de pénurie, les entreprises manufacturières, le pouvoir central et les autorités locales, prennent toutes sortes d’initiatives pour attirer les jeunes travailleurs qui fuient les usines, préférant un emploi, parfois tout aussi précaire, dans les services . Cet article fournit une courte analyse de la pénurie de jeunes travailleurs, au prisme de leurs nouvelles aspirations sociales. Elle a donc d’abord pour but de fournir quelques clés d’analyse pour comprendre la portée des stratégies de séduction de ces firmes. Elle se penche également sur les facteurs de rejet de ces « travaux en usines » par cette jeune génération de travailleurs, qui aspire désormais à plus de liberté et d’indépendance.
La stratégie de séduction du secteur manufacturier pour attirer les jeunes travailleurs
Face à cette pénurie de main-d’œuvre, les usines et chantiers se livrent une véritable « guerre pour s’emparer de la main-d’œuvre » (工厂抢人大战) et sont prêtes à absolument toutes les folies pour s’offrir les services de jeunes travailleurs.
Un récent article (工厂抢人有多卷:包机接送,还包介绍对象) ironisait sur cette guerre de la main-d’œuvre entre entreprises du secteur manufacturier. Là encore, le concept d’involution intervient, pointant une compétition accrue entre firmes du secteur manufacturier pour attirer coûte que coûte cette jeune main-d’œuvre afin de pouvoir tenir des rythmes de production intenses. Autre phénomène important, la crise pandémique et le retour de confinements stricts dans des zones industrielles et manufacturières a fortement exacerbé cette compétition, notamment pour les entreprises sous-traitantes, plus touchées par la politique de 0-Covid (清零) mise en place par le pouvoir central.
Dans le même temps, le secteur manufacturier n’échappe pas à la problématique du vieillissement des travailleurs en Chine. Pour faire face à cette question, les firmes chinoises ont donc élaboré des stratégies de séduction envers les catégories de travailleurs les plus jeunes. Les usines chinoises vont même jusqu’à organiser des vols aller-retour pour faire venir la main-d’œuvre dans les usines, ou encore à organiser des rencontres amoureuses sur les lieux de travail afin d’améliorer les conditions de vie des travailleurs. Car si cette politique de séduction donne parfois des exemples étonnants, elle est aussi révélatrice de la perte en attractivité d’un secteur manufacturier qui demeure un pilier de la puissance chinoise.
[/vc_column_text][vc_empty_space height= »18px »][vc_row_inner][vc_column_inner alignment= »center »][vc_column_text]Vous souhaitez recevoir le Passe Muraille, la newsletter hebdomadaire gratuite d’EastIsRed, dans votre boite mail ?[/vc_column_text][vc_btn title= »Inscrivez vous » style= »classic » color= »juicy-pink » align= »center » link= »url:http%3A%2F%2Fwww.eastisred.fr%2Finscription|title:inscrivez-vous%20!|target:%20_blank| »][/vc_column_inner][/vc_row_inner][vc_empty_space height= »18px »][vc_column_text]Les usines dans lesquelles le manque travailleurs se fait ressentir ont bien cerné le problème. Comprenant qu’elles avaient la réputation de faire évoluer ses travailleurs dans des conditions désastreuses, elles ont récemment sorti l’artillerie lourde pour pallier cette mauvaise réputation : hausse des salaires, amélioration du cadre de travail et du bien-être de ses travailleurs. Cette stratégie des usines qualifiée de globale et multidimensionnelle (全方多维), tente de prendre en compte des critères matériels comme les salaires, mais aussi des critères plus sociaux comme le bien-être des travailleurs.
1ère stratégie : l’argent
Pour pallier ces difficultés, les patrons ont d’abord tenté une stratégie dite de « pression par l’argent » (砸钱), qui vise à augmenter les salaires ou les primes pour attirer la main-d’œuvre. Quelques exemples illustratifs :
- En 2022, la firme taiwanaise Foxconn (富士康) a recruté des techniciens et ouvriers qualifiés en leur offrant un emploi fixe à hauteur de 7 000-8 000 yuans par mois – à titre de comparaison, un serveur dans une brasserie bien connue de Pékin touche entre 5000 et 6000 yuan.
- Les usines de Huawei à Dongguan et Shenzhen ont recruté des travailleurs pour un salaire d’environ 8 000 à 10 000 yuans.
- L’augmentation de primes lors de promotions internes : BYD propose par exemple une prime de 17 000 yuans.
- Un système de parrainage qui offre une prime d’entre 6 000 et 11 000 yuans à une personne qui recommande un travailleur pour l’usine.
Le montant des salaires offerts est considéré comme plutôt élevé : il peut parfois atteindre l’équivalent du salaire d’un travailleur en col blanc dans les villes, soit 8 190 yuans par mois en moyenne selon une estimation récente. Mais ces chiffres sont à prendre avec prudence, car ils concernent avant tout des usines qui ont les moyens d’offrir de relativement bons salaires. Toutefois, le Bureau national des statistiques est plus réaliste, rappelant que le salaire moyen d’un travailleur du secteur manufacturier tournerait plutôt autour des 5 110 yuans. Il est également plus difficile de savoir si les sous-traitants ou les plus petites usines, notamment dans les zones éloignées du littoral est, sont également en capacité d’utiliser cette stratégie de pression par l’argent.
2ème stratégie : améliorer les conditions de vie pour améliorer la réputation des usines
Salaires mis à parts, les conditions de vie en usine sont-elles meilleures ? Sur ce point, il est important de rappeler que les usines ont fait des efforts importants en la matière :
- Une politique de confort (« 住得更舒服») avec des dortoirs mieux équipés et climatisés, qui accueillent parfois 4 personnes maximum.
- La gratuité des transports mise en place par les usines.
- Des congés « familiaux » (探亲假) de 7 et 10 jours
- Un meilleur traitement des travailleurs les moins qualifiés
- L’organisation de rencontres amoureuses pour les hommes par certaines firmes, telles que Foxconn à Chengdu
- Une rénovation parfois complète du parc d’habitation, souvent insalubre.
Mais là encore, ces exemples concernent des usines dotées de moyens importants. Ces tentatives d’amélioration des conditions de vie dans les usines témoignent d’une tendance globale, mais elles ne concernent probablement pas les petites usines éloignées des grands centres industriels.
3ème stratégie : offrir une meilleure flexibilité
Aux côtés des usines, le pouvoir politique s’est aussi saisi du problème de la pénurie de main-d’œuvre. Les autorités locales ont donc lancé une série d’initiatives, notamment pour augmenter la flexibilité des travailleurs, répondant ainsi à une vraie demande des travailleurs dans ce secteur clé.
Début 2022, les autorités locales de la ville de Zhongshan (Guangdong) ont par exemple organisé une série de salons pour l’emploi. Les autorités municipales sont aussi à l’origine d’une initiative visant à créer environs 2400 emplois « spécialement dédiées aux mamans » (妈妈岗) dans les usines avec l’objectif de l’étendre à 100 entreprises de la région. Ces emplois « pour maman » offrent une meilleure flexibilité aux travailleuses ayant un enfant à charge. Dès 2019, l’entreprise d’électronique RichSoundResearch (悦辰电子实业有限公司) basée à Zhongshan, a pris l’initiative de créer des emplois spécialement dédiés aux mamans leur permettant de travailler 8 heures par jour de manière plus flexible. Résultat : ces « mamans » représenteraient environs un tiers des 700 employés de l’entreprise. En parallèle, on constate aussi des efforts dans la flexibilité de recrutement des usines qui embauchent désormais des travailleurs plus jeunes sur des postes nécessitant plus d’expérience.
Il existe également des initiatives de parrainage dîtes intergénérationnelles. À Jinhua (金华市), les autorités municipales ont lancé une campagne d’incitation pour que « les jeunes s’appuient sur les plus anciens » (以老带新). Cette campagne donne une prime aux travailleurs plus âgés qui réussissent la difficile tâche de convaincre un jeune travailleur d’aller à l’usine. En 2022, cette campagne aurait porté ses fruits puisqu’environs 1500 employés auraient été recruté de cette manière à Jinhua. Là encore, les autorités locales viennent appuie aux usines, principales pourvoyeuses d’emplois dans des zones.
[/vc_column_text][vc_empty_space height= »16px »][vc_single_image image= »22859″ img_size= »full » alignment= »center »][vc_empty_space height= »16px »][vc_column_text]Mais ces stratégies et ces efforts ont-ils permis un gain d’attractivité du secteur auprès des jeunes ?
À regarder ces exemples, largement relatés dans la presse chinoise, on pourrait croire que cette stratégie de recrutement intense aurait parfaitement rempli sa mission. Il est vrai que, grâce ces efforts importants des autorités politiques locales ou provinciales, certaines usines ont réussi à débaucher cette main-d’œuvre qui se fait désormais rare. Dans certaines villes, les campagnes de recrutement intense des usines aurait même engendré une pénurie de « nounous » (保姆荒). Certaines de ces – ayi – comme on les appelle, qui travaillaient auparavant dans le secteur des travaux domestiques en ville, sont parties dans les usines. Toutefois, ces succès restent en trompe l’œil et les usines n’arrivent toujours pas à attirer les jeunes.
Zhang Xinghai (张兴海), un représentant de délégation de la double session (两会) résume le problème actuel des usines par cette formule : « il faut encourager la jeunesse à moins faire les coursiers (le terme de coursier a ici été choisi pour désigner les kuaidi ou waimai qui sont en Chine l’équivalent des livreurs Deliveroo en France, des indépendants travaillant pour des plateformes numériques spécialisées dans la livraison de courses ou de repas) et à plus travailler dans les usines » (鼓励年轻人少送外卖、多进工厂). Mais les internautes chinois ont réagi à cette déclaration par l’ironie : « ne savez-vous donc toujours pas pourquoi nous ne voulons pas aller à l’usine ? » pointant là encore le principal obstacle à cette stratégie de séduction des usines : les difficiles conditions de travail qui entourent les travaux à l’usine.
Malgré les efforts conséquents des usines portant sur l’attractivité et sur la hausse des salaires des emplois dans le secteur manufacturier, force est de constater que les jeunes ne sont pas séduits par la perspective d’évoluer dans une usine. Tout d’abord, ces jeunes générations gardent à l’esprit cette mauvaise réputation que subit le secteur manufacturier quant aux conditions de travail. Ces derniers n’hésitent pas à parler d’un environnement de travail « répugnant » (环境恶劣). Viennent ensuite une série de raisons avancées par ces jeunes qui rejettent en bloc les travaux dans les usines :
- Les augmentations de salaires ne suffisent pas
- La flexibilité n’est pas suffisante ; elle n’atteint pas les niveaux qu’offrent les plateformes numériques
- Peu de liberté et le sentiment d’être enchaîné à son travail
- Les tâches répétitives et la cadence effrénée des usines sont des éléments effrayants : surveillance, impossible arrêt des chaînes de montage, chronométrage pour les tâches ou les repas
- Aucune perspective d’avenir tandis que le travail de livreur en ville pour des applications numériques est devenu un vrai tremplin pour épargner et se lancer dans un autre secteur plus tard.
- La honte de travailler dans un secteur que beaucoup considère comme salissant.
Dans ces conditions, les jeunes travailleurs préfèrent largement obtenir un emploi dans la livraison de repas express. Pour preuve, l’application Meituan (l’équivalent du Deliveroo chinois) indique que plus de 31% de ces livreurs sont d’anciens travailleurs du secteur manufacturier. Ce chiffre est finalement assez révélateur de ce sentiment de « rejet de l’usine » qui règne auprès de la jeune génération.
Ces mesures et ces efforts volontaristes n’atténueraient finalement que très peu les grandes pénuries de main-d’œuvre qui sévissent en Chine. Selon le Bureau national des Statistiques, le nombre de travailleurs dans le secteur manufacturier a progressivement baissé de 87 millions à 65 millions. Par ailleurs, le secteur manufacturier qui emploie traditionnellement bon nombre de travailleurs-migrants voit la part de ces derniers progressivement diminuer également, la proportion des travailleurs migrants a baissé de 2,84 sur la période 2008-2018. Cela est principalement due au vieillissement mais aussi à un phénomène de « retour prématuré » de ces travailleurs vers les campagnes. Comme souligné dans un précédent article, bon nombre de travailleurs migrants de 55 ans rentrent dans leur campagne car ils sont devenus persona non grata sur les chantiers en raison de leur âge.
Conclusion : les jeunes travailleurs n’iront toujours pas travailler à l’usine
Malgré tous ces efforts, le constat est assez frappant, les jeunes « ne reviennent pas à l’usine ». La jeune génération de travailleurs aspire désormais à cette flexibilité du travail, synonyme de liberté pour elle. Les emplois de livreurs en villes sont certes précaires mais ils leur offre une forme d’indépendance. Finalement, c’est dans le domaine de la perception de ces jeunes travailleurs que le rejet des emplois en usine est le plus perceptible.
Préférant la précarité des emplois en villes, rejetant le dur labeur des usines, la jeunesse chinoise aspire à une plus grande autonomie, creusant ainsi le fossé de la pénurie de main-d’œuvre en Chine dans le secteur manufacturier. Au niveau du pouvoir central et des usines, des efforts plus importants sont nécessaires pour attirer cette jeunesse qui fuit l’usine à tout prix.
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